Compagnie du Gaz d’Athènes
François-Théophile Feraldi, homme d’affaires français résidant en Grèce depuis les années 1830, obtient en 1857 l’adjudication de l’éclairage au gaz d’Athènes. La convention passée avec la municipalité de la capitale lui accorde un privilège de 50 ans, l’exemption de toute taxe municipale ou douanière et une échéance de 15 mois pour l’achèvement de l’ouvrage. Les prescriptions du système d’éclairage doivent être conformes à « celles en vigueur à Paris ».
Ayant signé, presque simultanément, une autre convention avec le gouvernement grec pour la construction de la ligne du chemin de fer Athènes-le Pirée, Feraldi n’arrive pas à respecter les échéances. Il abandonne le projet ferroviaire et sollicite des reports pour le projet du gaz. Ses fonds s’épuisent et, finalement, il fait appel aux capitaux français. En 1860, il s’associe à quatre bailleurs de fonds français, et fonde à Paris la « Société pour l’éclairage au gaz de la ville d’Athènes », entreprise de type inconnu (commandite par actions ?). Les troubles politiques des années suivantes, qui aboutissent à l’expulsion du roi Othon en 1862, retardent encore les opérations, de sorte que l’usine du gaz ne commence à fonctionner que vers la fin de 1862 ou au début de 1863.
Cependant, il faut attendre encore plus de vingt ans encore pour que l’entreprise puisse se stabiliser et se développer. Partie sur un pied instable, l’entreprise manque d’un financement constant et suffisant, d’autant plus nécessaire que la capitale connaît une expansion rapide à cette époque et que la municipalité exige l’extension du réseau de l’éclairage. Impliqué dans d’autres affaires éventuellement plus lucratives, Feraldi abandonne l’entreprise en 1863. Cette dernière contracte un prêt auprès d’un groupe de banquiers, grecs et français, et finalement fait faillite en 1873. Les installations sont rachetées par les créditeurs, qui fondent cette même année une nouvelle société anonyme de droit grec, la « Compagnie du Gaz d’Athènes S.A », au capital de 1,2 millions de drachmes. Mais le réseau de l’éclairage ne progresse que lentement : 425 lampes étaient prévues en 1857, elles ne sont que 600 en 1873 et 1000 en 1886, alors que la population athénienne a triplé au cours de ces trois décennies. De plus, la qualité de la lumière est mauvaise et la presse se plaint souvent de l’obscurité de l’espace public athénien.
Située à l’extrémité sud-ouest de la ville de l’époque et sur la rue du Pirée, cette première installation énergétique de la Grèce, très polluante, a marqué inexorablement le paysage, avec ses hautes cheminées et ses grands gazomètres. Elle a donné son nom au quartier (« Gazi ») et marque son caractère industriel. La revente du coke, sous-produit de la distillation de la houille, a attiré dans les parages des dizaines de petites industries de traitement de métaux, ainsi que les premiers quartiers ouvriers de la capitale.
L’année 1887 marque un tournant décisif dans l’histoire de l’entreprise. La société se trouve de nouveau au bord de la faillite, cette fois en raison de l’impossibilité de la municipalité de lui verser les subventions annuelles, dont le montant, de 50.000 drachmes au début, avait atteint 130.000 en 1884. Deux entrepreneurs se présentent alors pour sauver l’affaire, Jean-Baptiste Serpieri, le directeur de la Compagnie Française des Mines du Laurium, et le banquier H. Foulon de Vaulx, administrateur et représentant de la société anonyme française « Gaz et Eaux S.A. ». Fondée en 1881 au capital de 10 millions de francs, cette société exploite déjà des concessions d’éclairage dans plusieurs villes en France. L’entreprise du gaz d’Athènes est donc reprise par des mains compétentes. Par la convention passée en juin 1887 avec la municipalité, les deux entrepreneurs s’engagent à fonder une nouvelle société, à renouveler les installations, à améliorer la qualité du gaz d’éclairage, et à étendre le réseau dans la capitale en posant une lampe au moins à chaque carrefour. De son côté, la municipalité s’engage à prolonger le privilège de 30 ans encore, après son expiration initialement prévue en 1908.
La nouvelle société adopte les statuts de celle de 1873, en y apportant quelques modifications. Le titre est étendu (« Compagnie du Gaz d’Athènes et d’autres villes »). L'objet de la société l’est aussi (« production du gaz pour l’éclairage et le chauffage ») et le capital est porté à 2 millions de drachmes en actions de 500, l’ensemble des fonds supplémentaires (0,8 millions) étant apporté par Serpieri et de Vaulx. Les effets de ce dynamisme déclaré sont vite ressentis. L’installation athénienne se dote de trois nouveaux gazomètres, construits par l’entreprise Bonnet Spazin & Cie de Lyon, spécialisée dans ce type de constructions, et d’un nouvel atelier pour la purification du gaz qui exploite un récent brevet français (Pelouze-Ardouin). Le réseau est étendu, l’usage du gaz pour le chauffage est inauguré, tandis que le nombre des lampes publiques est presque doublé dans l’espace de quatre ans (de 1120 à 2170 entre 1887 et 1891). Enfin, au début du XXe siècle, la production du gaz à l’eau, utilisant le coke produit dans l’usine, est inaugurée. L’entreprise connaît alors son âge d’or.
Cependant, dès la fin des années 1880, la concurrence de l’électricité, introduite alors à la capitale, se fait sentir. Dans un premier temps, la société du gaz a réussi à empêcher la signature d’une convention entre la municipalité et les premiers entrepreneurs de l’électricité. Mais lorsque la mise en place de la nouvelle source d’énergie prend des dimensions autrement plus importantes avec l’apparition de la Compagnie Thomson-Houston de la Méditerranée en 1898, la Compagnie du gaz se lance dans la production de l’électricité et arrive même à poser ses premières lampes électriques dans les rues de la capitale en 1902. Pourtant, en 1908, elle est finalement contrainte à s’entendre avec l’entreprise de l’électricité et d'abandonner cette activité. Entretemps, elle a été obligée à remplacer toutes les lampes publiques par des lampes à bec Auer, afin d’en améliorer la luminosité.
Dès ses débuts, l’usine du gaz est dirigée par des spécialistes étrangers. Aux débuts des années 1880 l’ingénieur italien Angelo Romussi, venant de l’usine de gaz de Milan, travaille à l’usine athénienne. Puis, et pendant deux décennies (1885-1905), l’usine est dirigée par Oscar Dacosta, ingénieur français installé à Athènes et devenu membre de l’Association des Polytechniciens Grecs. D’autres français lui ont succédé : André Mineur, George Gérard et, au cours des années 1930, Joseph Poute de Puybaudet. Les travailleurs de l’entreprise, au nombre de 800 environ au début du XXe siècle, y compris les allumeurs, fondent en 1914 un des premiers syndicats d’entreprise de la Grèce, la « Ligue des ouvriers du Gaz d’Athènes », qui organise des grèves successives, souvent en coordination avec les ouvriers de la compagnie électrique.
Le manque de la houille pendant la Grande Guerre impose des arrêts fréquents de la production, tandis que la montée du prix du gaz envenime les rapports de l’entreprise avec la municipalité, rapports déjà difficiles par ailleurs, puisque la municipalité réclame dès 1908 une part des profits de l’entreprise et envisage même de la racheter en 1916, mais le prix est alors hors de portée.
À partir de 1919 et au cours de la décennie suivante, l’éclairage au gaz de la ville d’Athènes est progressivement supprimé au profit de l’électricité. Désormais, le réseau du gaz alimente la consommation privée, les ménages et quelques industries situées dans son périmètre. En 1938, à l’expiration du privilège, l’usine du gaz devient une entreprise municipale. Nommée « Entreprise Municipale du Gaz d’Athènes » (ΔΕΦΑ) après la guerre, elle a survécu jusqu’en 1984, lorsque l’usine a définitivement fermé ses portes. Restaurée depuis les années 1990, l’installation loge aujourd’hui la « Technopolis », un organisme culturel de la municipalité d’Athènes. Une partie de l’installation est transformée en musée du gaz.