Albert Dufour (1858-1947) est un diplômé de l’École centrale lyonnaise de l'industrie et du commerce, institution privée fondée en 1857. Aussitôt sorti de l’École après un cursus de trois ans (1875-1878), second de sa promotion, il débute comme préparateur de chimie de Gustave Fortier (1826-1926), le directeur de l’établissement à l’époque, puis il est engagé comme conducteur des travaux pour l’exécution du tunnel de 3 km qui traverse le mont d’Epine. Le tunnel percé, Dufour est envoyé en mai 1881 à Langres, comme ingénieur cette fois, pour l’exécution d’un autre grand souterrain, celui de Balesmes d’une longueur de 5 km.
Après ces deux opérations difficiles, qui ont constitué pour le jeune technicien un précieux baptême du feu, Dufour décide de tenter sa chance à l’étranger. Il prend alors le large à Marseille avec pour mission de participer au dessèchement du lac Copaïs en Grèce. Dufour travaille sur ce projet en 1883-1884, avec le grade (important) de chef de section pour le compte de François-Ladislas Lerat (né en 1842), entrepreneur de travaux publics, à qui la Compagnie française de desséchement et d'exploitation du lac Copaïs (1880-1886) avait confié, suite à une adjudication qui a eu lieu en octobre 1882, l’exécution de travaux d’une valeur d’environ 5 millions de francs. Mais les rapports entre l’entreprise « Lerat » et la Compagnie ne semblent pas être au beau fixe. Les tensions montent vite, et quand le 27 mars 1883 Dufour se rend dans le bureau du chef de station de la Compagnie à Karditza, les échanges entre les deux hommes tournent mal. On commence avec des injures, des violences physiques s’ensuivent, et Dufour provoque même l’homme de la compagnie en duel. La compagnie demande avec insistance à Sgoutas, le représentant de Lerat sur place, de renvoyer Dufour, apparemment en vain. Mais comme, suite à un jugement rendu le 22 février 1884, la résiliation des conventions est prononcée, et la Compagnie décide d’exécuter directement les travaux confiés initialement à Lerat, Dufour doit trouver un autre point de chute.
Si le centralien lyonnais quitte la région de Thèbes, il reste néanmoins en Grèce. C’est la période des grands travaux de l’époque de Trikoupis, conçus et réalisés sous la direction générale d’une mission française d’ingénieurs des ponts et chaussées, laquelle arrive en Grèce en janvier 1883. Dufour saisit l’occasion et participe à de nombreux chantiers de la période. Citons, entre autres : cinq lots de travaux sur la ligne de chemin de fer « Pirée-Athènes-Péloponnèse », parmi lesquels le lot dit de Kaki-Scala entre Mégare et Corinthe et celui qui traverse l’isthme de Corinthe (il sera secondé ici par son camarade de promotion Barlet, qui travaille à ses côtés comme conducteur de travaux) ; les routes de Corinthe à Patras et de Monemvasia à Sparte, cette dernière comportant d’importants travaux de fondation à l’air comprimé, technique que Dufour a connue lors de ses premières expériences en France ; des travaux portuaires à Calamata et au Laurium. À noter aussi une entreprise consistant à draguer, dans les baies du Laurium, environ 500 000 tonnes de scories plombifères provenant des exploitations des anciens Grecs (pour cette entreprise, Dufour avait appelé à son aide son camarade Louis Verzieux). En 1886, Dufour installe et exploite dans l’île de Sérifos une mine de fer magnétique. C’est en Grèce également que Dufour s’initie au « métier » de l’ingénieur-concepteur en matière de chemin de fer, en signant entre autres l’étude, entre Lamia et Larissa, de la ligne de jonction de la Grèce avec la péninsule balkanique et, par là, avec le reste de l’Europe. En 1892, Dufour s’associe avec un certain V. Aubert pour proposer de ravitailler les villes d’Athènes et du Pirée grâce aux eaux de la source d’Hercyne située près de la Livadie contre une concession de 50 ans.
Mais, en 1892, la Grèce est sur le point de faire faillite, des chantiers ferment, et Dufour quitte le pays. Après s’être impliqué dans le projet du port de Salonique, en septembre 1894, il entre avec le grade d’ingénieur « chef de section » au service d’une grande maison française de construction, La Régie générale des chemins de fer et des travaux publics, où il devait faire une grande et longue carrière internationale. Celle-ci l’amène de l’Empire ottoman à Madagascar, en Chine, où Dufour va s’illustrer dans la construction de la fameuse ligne du Yunnan reliant la Chine à l’Indochine, et en Amérique latine. Revenu en France quand la Première Guerre Mondiale éclate, Dufour constitue, une fois l’armistice signée, les Constructions générales (1919-1930), société en participation dont il a gérance, avant de terminer sa carrière comme ingénieur conseil. S’imposant comme grand spécialiste des chemins de fer, Dufour publie en 1922 son Cours de chemin de fer : pratique des études et de la construction plus spécialement aux colonies et en pays neufs (1922), ouvrage réédité en 1930 et résumant une carrière qui s’est étendue sur plus de quarante ans et qui a fait de l’auteur l’un des ingénieurs-entrepreneurs français parmi les plus intéressants de sa génération.