La Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copais voit le jour le 14 octobre 1880, suite à une convention conclue le 30 mai de la même année (calendrier julien : désormais CJ) entre l’État grec et Ioannis Vouros, ce dernier agissant à la fois en son nom propre et pour le compte d’un groupe de financiers, dont plusieurs sont liés à la Banque de Constantinople. La Compagnie est une société anonyme d’une durée de 99 ans, dont le capital s’élève à quinze millions de francs, divisé en 30 000 actions de 500 francs chacune, alors que 1 000 parts reviennent aux fondateurs. Plusieurs noms connus du mode de la finance internationale figurent dans son premier conseil d’administration, qui est composé de : Carouis, Stéphane Skouloudis (1836?-1928), Georges de Louvencourt (1824-1900), Alexandre Ellissen (1842-1891), Louis-Alfred de Maintenant (1821-1885), Nillel [sic] (probablement Hillel Manoach) et Eugène-Hyacinthe Larousse (1832-1896).
Aussitôt créée, la Compagnie fait appel aux services de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Ferdinand-Alexandre Taratte (1835-1882), qui peut s’appuyer par ailleurs sur plusieurs projets de dessèchement déjà existants, dont celui produit par l’ingénieur du corps des Mines François-Clément Sauvage (1814-1872) dans les années 1840 et l’étude de Andrien-Auguste Moulle, ingénieur civil des mines, faite à l’extrême fin des années 1870. Taratte meurt subitement le 26 février 1882 et est remplacé par Léon-Aunet Pochet (1841-1910). Consultés par la Compagnie, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Hilarion Pascal (1815-1896) et Larousse, polytechnicien et ingénieur hydrographe, donnent un avis favorable aux changements introduits par Pochet, alors que les projets définitifs de dessèchement sont approuvés par le Gouvernement hellénique le 31 mai 1883 (CJ).
Les travaux commencés, la Compagnie s’installe (aussi) en Grèce. Si son siège social reste à Paris (62, rue de Provence), le concessionnaire dispose également d’une agence à Athènes, située rue de Lykabète, « près de la Poste ». L’organisation de la Compagnie se présente alors comme suit. Son Administration centrale est composée de Marc Renieris (Président), Georges Koronios (Vice-Président), Larousse (ingénieur chargé du service de la direction) et de Pascal (Ingénieur Conseil). L’Agence athénienne comprend Georges Athenogenis (administrateur délégué), l’avocat Minos Bogiatzoglou (chef de l’Agence) et un certain Calomenopoulos (secrétaire comptable). Le Bureau à Livadie (Exploitation) est servi par Ar. Bogiatzoglou (chef de section), Pl. Nakos (chef du bureau) et Leonardidis (secrétaire). Quant à la Direction générale des travaux à Thèbes, elle est assurée par Pochet (directeur général), ce dernier étant entouré d’un certain Blanchard (chef du bureau) et de trois chefs de section aux noms de : Le Nourichel, Proszynski (ou Proszinski) et Jean Brossard.
Si la Compagnie garde pour elle le monopole des études et de la direction des opérations sur le terrain, elle pratique, en revanche, massivement dans un premier temps la « sous-traitance » en matière de réalisation des travaux. Divisés en deux grands groupes – travaux à réaliser dans le Copaïs et autour du lac, d’une part, travaux à exécuter dans les petits lacs de Béotie, à savoir Likéri et Paralimni, d’autre part –, les travaux projetés sont confiés à deux entreprises distinctes. La première est celle de François-Ladislas Lerat (né en 1842) qui s’occupe des travaux du premier groupe, qui débutent le mois de février 1883. L’autre sous-traitant est, en revanche, un entrepreneur grec, « le sieur Rhasis ». Les sous-traitants de la Compagnie, Lerat en tout cas, semblent pratiquer à leur tour le tâcheronnat à grande échelle. Ainsi le 5 décembre 1883 quatre tâcherons italiens, parmi ceux présents sur le site, dirigent ensemble 205 ouvriers sur les chantiers relevant de la responsabilité de l’entreprise Lerat. Visiblement le site de construction est cosmopolite, et accueille beaucoup d’Italiens, mais aussi des Monténégrins, voire des Persans. Rien d’étonnant à ce que parmi les personnes employées il y a des traducteurs, dont le « drogman » Zamanos.
Les travaux sous la direction générale de Pochet se déroulent dans un environnement naturel particulièrement hostile. La saison des fièvres, le lac est en fait un marais constitué par les eaux de plusieurs rivières, dure quatre mois. Dans un rapport daté de l’année 1883, le docteur Rey, médecin de la Compagnie, annonce que les fièvres commencent à sévir en grande nombre. Et comme les hivers sont en revanche très froids, en janvier 1884 le docteur Weisgerber mentionne, pour le déplorer, l’existence d’affections pulmonaires fréquentes, qui surviennent chez des individus épuisés à la suite des fièvres et de la mauvaise nourriture. Et ce n’est pas tout. Non seulement la Compagnie doit lutter contre une nature inhospitalière, ses rapports avec l’entreprise « Lerat » ne semblent pas être au beau fixe. Un jugement rendu le 22 février 1884 prononce la résiliation de la convention passée entre Lerat et la Compagnie, et comme cette dernière ne semble obtenir de meilleurs résultats avec les entrepreneurs grecs non plus, elle décide d’exécuter désormais les travaux avec ses propres ressources.
Deux ans plus tard, la Compagnie semble être en meilleure posture. En juin 1886, l’émissaire de Karditza, pièce central du dispositif de l’ensemble, est terminé et mis en eau, et dans l’hiver 1886-1887, le tunnel d’Anthédon semble être aussi (quasiment) achevé. Des nombreux travaux accessoires, allant d’une route empierrée de 15 kilomètres le long du lac à la construction d’une maison de santé, d’un bistrot et des habitations pour le personnel, sont aussi déjà exécutés. Mais plusieurs ouvrages importants restent encore dans un état d’inachèvement, voire de projet, alors qu’un événement naturel non anticipé – l’auto-ignition spontanée de la tourbe formant le fond du lac – ne fait qu’ajouter aux difficultés anciennes des problèmes nouveaux.
Décidemment à court d’argent, la Compagnie fait faillite. Le 5 mai 1887 l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires décide la dissolution de la firme et nomme en qualité de liquidateurs les membres du Conseil d’administration de l’époque, à savoir Athenogenis, J. de Camondo, Koronios, Ellissen, de Louvencourt, Renieris et Skouloudis. Cette décision marque la fin de la compagnie française mais non pas celle du projet qu’elle a porté pendant plus de six ans. Au milieu de ses difficultés financières, la Compagnie négocie avec l’ingénieur et financier John Cockburn Francis Lee (vers 1834-1910). Une convention entre les Français et The Lake Copais Company Limited est conclue le 2 juin 1887 (CJ) à Londres, suite à laquelle l’entreprise français cède ses droits et obligations à la nouvelle société anglaise qui se charge d’achever les travaux. The Lake Copais Company terminera, en effet, le dessèchement du lac en 1892 et assurera l’exploitation des surfaces desséchés jusqu’en 1954, époque où le gouvernement grec rachète « Copaïs » et procède à une distribution (partielle) des terres cultivées aux paysans de la région.
Sources et bibliographie
Archives Nationales (Paris), F/14/2922. Dossier administratif de carrière de Lerat.
Annuaire-Blengini 1884-85. Guide statistique, historique, diplomatique, industriel et commercial de la Grèce..., Turin, Imprimerie G. Dersossi, 1884.
Anonyme, Eggrafa peri tis Kopaïdos limnis katatethenta eis tin voulin ypo tou Ypourgou ton Esoterikon, Athènes, Ek tou Ethnikou Typografeiou, 1893.
Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copaïs, Rapport du commissaire chargé de la vérification des apports, Paris, Imprimerie centrale des chemins de fer – Imprimerie Chaix, sans date (vers 1880/81).
Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copaïs, Note sommaire sur le dernier projet de dessèchement approuvé par le Gouvernement hellénique, et sur l’état actuel des travaux, Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer – Imprimerie Chaix, 1884.
Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copaïs, Renseignements sur la marche des travaux du lac Copaïs soumis à M. Léonce Vée, Arbitre pour la Compagnie, Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer – Imprimerie Chaix, 1884.
Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copaïs, Renseignements sur la situation actuelle des travaux (mai 1884), Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer – Imprimerie Chaix, 1884.
Compagnie française pour le dessèchement et l’exploitation du lac Copaïs, Assemblée générale ordinaire du 29 juin 1887. Rapports du Conseil d’administration et du commissaire des comptes, Paris, Imprimerie et librairie centrales des chemins de fer – Imprimerie Chaix, 1887.
Durand-Claye, Alfred, Rapport sur le dessèchement du lac Copaïs (Grèce), Paris, Imprimerie nationale, 1888.
https://www.entreprises-coloniales.fr/proche-orient/Cie_frse_du_lac_Copais.pdf
Idol, David, « The ‘Peaceful Conquest’ of Lake Copais : Modern Water Management and Environment in Greece », Journal of Modern Greek Studies, vol. 36, n° 1, mai 2018, p. 71-95.
Moulle, Andrien-Auguste, Rapport à l’appui de projet de dessèchement et de la mise en culture du lac Copaïs (Grèce), Paris, Imprimerie générale A. Lahure, 1879.
Papadopoulos, Apostolos, « The Drainage and Exploitation of Lake Copais (1908-1938): Socio-Economic Implications of the Exploitation of Lake Copais, Greece », Didaktoriki diatrivi, University of Bradford, 1993.
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Richou, G., « Travaux publics. Dessèchement du lac Copaïs. Inauguration du canal émissaire de Karditza (Fin) », Le Génie civil, tome IX, n° 24, 9 octobre 1886, p. 373-375.