Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée

La Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée a été fondée en deux étapes, en 1853 et 1856, sur la base d’entreprises précédemment créées par l’Anglais Philip Taylor dans les années 1840. Elle possède à l’origine un chantier de construction navale à la Seyne-sur-mer, près de Toulon, et des ateliers de mécanique à Menpenti, au sud de Marseille. En 1872, elle acquiert des installations similaires au Havre et à Graville. Présidée par l’industriel et homme politique Armand Béhic dès le début et jusqu’à sa mort en 1891, elle construit des navires de guerre et de commerce, des machines marines et opère dans le secteur des travaux publics. Si sa production est surtout destinée à la France, elle compte déjà d’autres pays parmi ses clients (Russie, Egypte, Italie, Espagne, Brésil, Japon …). La Grèce s’ajoute à la liste à partir de 1877, au cœur de la guerre russo-turque. A cette époque, le remaniement des frontières dans les Balkans et les gains territoriaux de la Grèce au Congrès de Berlin (1878) ont ravivé les projets irrédentistes des Grecs et incité le renforcement de l’équipement militaire du pays en vue de nouvelles annexions.

C’est en effet au cours des années 1877-1881 que la plupart des commandes grecques sont passées aux FCM et que les décisions pour des commandes futures sont prises. L’homme qui domine alors sur la scène politique grecque est Alexandros Koumoundouros, premier ministre pour la plupart du temps au cours de cette période et pour lequel, lors de sa mort en 1883, Albert Jouët-Pastré, administrateur délégué de la société, exprime « les plus vifs regrets » en ajoutant : « Notre société perd en lui son appui le plus sérieux et le plus efficace ».

La première commande, en 1877, concerne la construction de deux goélettes et trois péniches destinées au service des douanes grecques. Les FCM acceptent volontiers l’affaire, bien qu’ils la juge « minime », car elle leur permet de « prendre pied sur un marché qui jusqu’à ce jour avait été ouvert exclusivement à l’industrie anglaise ». Juste après la livraison de ces petits navires, le gouvernement Koumoundouros passe commande aux FCM du Miaoulis, navire à propulsion mixte, avec une coque en fer et bois revêtu de cuivre, et construit selon les plans de Amable Lagane, alors ingénieur en chef des chantiers de la Seyne. Arrivé au Pirée fin 1879, le navire fait une vive impression par sa beauté et consacre le prestige des FMC en Grèce. Malgré un taux de profit relativement faible, les FCM semblent avoir gagné leur pari.

En effet, Koumoundouros commence aussitôt les discussions avec les FCM pour la fourniture d’un certain nombre de navires de guerre. Mais la chute de son gouvernement en mars 1880 « annule tous nos espoirs ». Malgré le caractère anglophile du cabinet de Charilaos Trikoupis, les contacts ne sont pas rompus. L'amiral Tombazis vient en France pour visiter les chantiers navals de la Seyne et les FCM se forcent de proposer des prix concurrentiels pour conclure l’affaire. Mais finalement Trikoupis, avant sa chute en octobre 1880, s’empresse de commander cinq torpilleurs à des chantiers anglais. Piètre compensation, les FCM concluent un marché avec la municipalité du Pirée pour la fourniture d’une drague et de deux bateaux porteurs de déblais, destinés à l’approfondissement du port du Pirée.  Ce matériel est livré au Pirée en août 1881.

De nouveau au pouvoir, Koumoundouros rétablit les équilibres. En novembre 1880, son gouvernement commande aux FCM quatre canonnières et cinq torpilleurs, au prix de 1,35 millions de francs. Les délais de livraison (5 mois) sont brefs et ne peuvent pas être respectés. Malgré les raisons de « force majeure » invoquées (le mauvais temps qui avait empêché les essais), la société sera contrainte de payer une pénalité. Les derniers navires seront livrés en juillet 1881. En réalité, en cette année 1881, les FCM connaissent une surcharge de commandes de bateaux de commerce, grâce à une loi favorable aux constructions navales en France. Ses chantiers sont par ailleurs occupés par d’autres réalisations pour la Grèce. La drague du Pirée est toujours en fabrication et des pourparlers avaient commencé en janvier avec la Compagnie de Navigation de Syra pour la fourniture de bateaux de commerce. De plus, à partir de mai 1881, commence à la Seyne la construction d’un dock flottant, commandée par la Marine de guerre grecque et destinée pour sa base navale de Salamina.

En même temps, la société s’occupe intensivement de l’affaire la plus importante de toutes celles qu’elle a eu à traiter avec la Grèce, à savoir la fourniture de trois cuirassés. Le début de cette affaire remonte à 1879, mais les discussions traînent. Averties dès le début de ce projet, les FCM préparent des études successives et parviennent à soumettre, en juillet 1881, un dossier avec trois types de cuirassés. Attaqué à la chambre pour favoritisme douteux envers les Français, le gouvernement se voit contraint de proclamer, à la fin de l’année, un concours, auquel vont participer deux constructeurs anglais, l’allemand Vulcan et les FCM. Bien que les conditions proposées par la Thames Iron Works soient les plus intéressantes, aucune décision n’est prise. Trikoupis, de nouveau au pouvoir depuis mars 1882, envoie une commission de la Marine à Londres pour discuter avec l’Amirauté britannique les nouvelles spécifications des cuirassés, provoquant ainsi la colère des Français.

Entre 1882 et 1885, les FMC voient leurs affaires stagner en Grèce. Un seul bateau est livré, le Pinios, ainsi qu’une cale de halage avec son appareil de traction à la Compagnie de Hermoupolis. Le dock flottant est aussi inachevé, à cause des modifications répétées de son plan, de telle sorte qu’en 1883 la société se dit prête à abandonner sa construction et de révoquer son représentant d’Athènes. Malgré tout, le dock sera finalement remorqué de Toulon à Salamina vers la fin de l’année. Mais la nouvelle commande de torpilleurs est passée en 1883 à l’allemand Vulcan.

Et pourtant, c’est Trikoupis qui va confier la construction des cuirassés aux FCM. Car au cours de cette période, un changement de ses dispositions se produit. Las du refus des Britanniques de lui envoyer une mission militaire, Trikoupis s’adresse à la France, en invitant d’abord des ingénieurs français en 1882, pour encadrer son programme ambitieux de travaux publics. En 1884, il fait appel à une mission militaire sous les ordres du général Vοsseur, suivie d’une mission navale, dirigée par le vice-amiral Lejeune et chargée de la réorganisation de la Marine grecque. La crise économique et politique qui touche la Grèce en 1884-1886 oblige à reporter, encore une fois, les décisions sur l’affaire des cuirassés. Ce n’est qu’en juillet 1887 que la convention entre le gouvernement Trikoupis et les FCM est finalement signée, et si le nouvel emprunt concédé par le Comptoir National d’Escompte, qui co-signe la convention, a sans doute joué un rôle dans ce choix. C’est à l’appui de la mission navale que les problèmes techniques ont été résolus, et c’est l’ingénieur naval E. Dupont, membre de la mission et auteur des plans des cuirassés qui doit en surveiller l’exécution. Il s’agit de trois cuirassés de 6.000 tonneaux, chacun livré pour 8.700.000 francs, un prix permettant à la presse d’opposition de crier au scandale. Les deux premiers navires, baptisés Hydra et Spetses, ont été construits au Havre, tandis que la réalisation du troisième, le Psara, a été confiée en sous-traitance à la Société des Ateliers et Chantiers de la Loire, à Saint-Nazaire. Livrés en 1890-1891 à la Grèce, ces trois cuirassés ont assuré la suprématie du pays en mer Egée, bien qu’ils se soient révélés plutôt inefficaces au cours de la guerre de 1897.

Ainsi s’achève le premier programme du renforcement de la marine de guerre grecque, ainsi que l’implication des FCM dans les affaires helléniques. En dehors des problèmes financiers et stratégiques, les indécisions et les tergiversations, dont la société accusait souvent les dirigeants grecs, étaient dues en grande partie à l’évolution rapide, à cette époque, de la technologie des constructions navales. Choisir entre les plaques en acier Schneider et celles mixtes du brevet Wilson pour le blindage, entre les tourelles barbettes et le réduit central, ou enfin entre les canons Krupp, Hotchkiss et Nordenfelt pour l’artillerie, n’était pas chose facile.

Par ailleurs, il faut souligner le rôle des relations personnelles dans les affaires négociées entre les FCM et la Grèce. Jehenne, sous-directeur de la société et son représentant permanent à Athènes, entretient des relations soutenues avec tous les hommes politiques et les responsables des administrations concernées, voire avec le roi George 1er, et ne manque pas de mobiliser, pour l’affaire des cuirassés, l’ambassadeur de la France, le comte de Mouy, quitte à le faire « avec discrétion », comme lui conseille Jouët-Pastré. Lejeune de son côté, ayant stationné au Pirée en 1879 à la tête d’une escadre française, connaissait bien la Grèce et était devenu intime du roi Georges 1er. Du côté grec, Georges Bouboulis, officier et ministre de la Marine dans tous les cabinets Koumoundouros, avait fait ses stages à Toulon. Des réseaux financiers ont été mobilisés aussi par le gouvernement grec et une bonne partie des paiements se faisaient par traites sur divers financiers de la diaspora grecque de Marseille, comme Rodokanaki, Calvokoressi, Valianos et autres.

La société des FCM, en déclin après la seconde Guerre Mondiale, a été reprise par les Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM) en 1966, puis intégrée aux Constructions navales du Nord et de la Méditerranée (NORMED) en 1982. Les chantiers de Seyne ont cessé leur activité en 1987, avant que la NORMED ne soit placée en liquidation en février 1989.

 

Sources et Bibliographie

Archives Nationales du Monde du Travail, série 1995 058 (fonds FCM, ex 137 AQ) : Correspondance générale 058 0081-0091 (1879-1883), Correspondance Marseille 058 1176-1185 (1879-1883), 058 1197-1198 (1886)

Journaux Sfaira (Globe) du Pirée et Kairoi (Temps) d’Athènes, diverses dates, années 1879-1887

Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée (1856-1906), 1906

G. Mezeviris (capitaine de la Marine de Guerre), « Le programme naval cinquante ans auparavant et la Mission Navale Française », Naftiki Epitheorisis, No 134 (1935), p. 117-137 (en grec)

Stylianos Emm. Lykoudis, « L’amiral Lejeune et son rôle dans la première organisation de la Marine grecque », Naftiki Epitheorisis, No 182 (1940), p. 155-192 (en grec)

Xavier Daumalin, Nicole Girard, Olivier Raveux, Du savon à la puce. L’industrie marseillaise du XVIIe siècle à nos jours, Marseille, Editions Jeanne Lafitte 2003

Zisis Fotakis, Greek Naval Strategy and Policy, 1910-1919, Routledge 2005

Siège social
Paris
Secteur d'activité
Activité en Grèce
Construction de navires de guerre
Date de fondation
1853
Date de dissolution
1989

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